Luigi Pirandello vient compléter l’itinéraire de la route des écrivains (la SS 640 qui a vu naître et passer tant d’autres écrivains : Andrea Camilleri, Giuseppe Tomasi di Lampedusa ou Leonardo Sciascia, notre prochain rendez-vous) entre Racalmuto et Porto Empedocle, aux alentours d’Agrigente.
Enfance et jeunesse
Né le 28 juin 1867 à Girgente (nom d’origine arabe d’Agrigente et utilisé jusqu’en 1927), dans un bourg appelé «Kaos», Luigi grandit dans une famille bourgeoise dont les revenus proviennent de l’extraction et du commerce du souffre.
Son enfance est sereine, mais marquée par sa difficulté à communiquer avec les adultes et particulièrement son père. Dès son adolescence, il souffre d’insomnie ne dormant que 3 heures par nuit.
Il va à l’école, puis au lycée où il se passionne pour la littérature. A 11 ans, il écrit sa première œuvre, Barbare. Brièvement, il aide son père dans le commerce de souffre, mais on comprend bien vite qu’il n’est pas fait pour cela.
De Palerme à Bonn
Dès 1886, il part à Palerme commencer des études universitaires (philologie romane), qu’il continue à Rome. Mais après un conflit avec le recteur et sur les conseils de son professeur, il quitte Rome pour Bonn en Allemagne où il rencontre de nombreux auteurs. Il obtient son diplôme en 1891 avec une étude sur le dialecte de région d’Agrigente, thème qui va marquer toute son œuvre.
En 1892, il retourne à Rome où grâce à la pension mensuelle versée par son père et à l’introduction de Luigi Capuana, il rencontre journalistes, auteurs et artistes dans les salons les plus courus.
Un mariage arrangé : de l’amour à la maladie
Malgré une grande histoire avec une jeune femme rencontrée à Bonn (Jenny Schulz-Lander), c’est en Sicile qu’il se marie en 1894 avec Maria Antonietta Portulano. Mariage arrangé avec un des associés de son père, certes, mais d’où naîtra un véritable amour… et 3 enfants, entre 1895 et 1899 (Stefano, qui porte comme le veut la tradition le prénom de son grand-père, Rosalia Caterina et Fausto Calogero).
Hélas, très vite sa femme montre des signes de maladie mentale manifestée par des crises hystérie, de jalousie aiguë forçant parfois Luigi Pirandello à quitter le domicile ou à renvoyer sa femme à ses parents. La crise financière qui touche le couple en 1903 ne fait qu’aggraver l’état de santé d’Antonietta qui conduira notamment leur fille à une tentative de suicide.
L’écrivain, contraint à des restrictions financières, cumule plusieurs postes : enseignant, répétiteur, puis dès 1909 journaliste pour le Corriere della sera.
En 1919, après un dernier coup dur avec l’appel sous les drapeaux de son fils aîné, Antonietta sera internée en hôpital psychiatrique et finira sa vie dans une clinique 40 ans plus tard. Luigi Pirandello aura alors à coeur tout au long de sa vie de comprendre les mécanismes psychiques qui ont conduit sa femme dans cet état.
Du premier succès à la reconnaissance internationale
Le premier succès arrive avec la publication en 1904 de Il fu Mattia Pascal (Feu Mattia Pascal – en savoir plus sur ce livre) écrit pendant les longs nuits de veille auprès de sa femme. Mais c’est lorsqu’il se dédie au théâtre, dès 1922 que Luigi Pirandello reçoit le succès. En 1925, il fonde une compagnie de théâtre à Rome qui lui permet de voyager de par le monde, avant de recevoir en 1934 le prix Nobel de littérature pour son engagement dans l’art dramatique et le théâtre. Alors qu’il est aux Etats-Unis pour l’adaptation de certaines de ses oeuvres, il rencontre Greta Garbo ou Albert Einstein.
C’est aussi à l’occasion d’une conférence de presse qu’il défendra la politique extérieure du gouvernement fasciste, s’attirant les foudres véhémentes de certains critiques et intellectuels de son pays.
Il influencera le pessimisme existentialiste comme Jean Anouilh ou Jean-Paul Sartre, ainsi que la dimension absurde d’auteurs tels qu’Eugène Ionesco ou Samuel Beckett.
Théorie de la crise du moi « Crisi del’io »
Pirandello passera toute sa vie à analyser l’identité, qui je suis par rapport à l’autre. Il découvre que, paradoxalement, c’est par la folie que l’homme est le plus à même de récupérer son identité. En effet, être vraiment soi c’est dire la vérité, crue et nue, au-delà des hypocrisies, du regard des autres, des jalousies, des règles de société.
Abandonnant les conventions sociales et morales, l’Homme peut alors vivre sa propre vie intérieure, selon ses lois. Plus besoin de masque, il est lui. Une évolution qu’on peut retrouver chez Vitangelo Mosacarda, protagoniste de Uno, nessuno et centomila (Un, personne et cent mille – en savoir plus sur ce livre).
Toute son oeuvre théâtrale sera également marquée par cette réflexion sur l’absurdité de la vie et son paradoxe.
L’absurdité jusque dans la mort
En novembre 1936, alors qu’il est à Cinecittà sur le tournage d’un film issu de son livre Il fu Mattia Pascal, Luigi Pirandello attrape une pneumonie. Déjà affaibli par deux attaques cardiaques il est conscient qu’il s’agit de la fin. Et en effet, il meurt le 10 décembre 1936.
Conformément à sa volonté, il est incinéré et ses cendres sont mises dans une amphore grecque, elle-même enterrée au cimetière du Verano à Rome. Mais c’est sans compter sur la ténacité d’Andrea Camilleri et d’autres étudiants qui, en 1947, œuvrèrent pour que les cendres soient enterrées dans le jardin de sa villa natale de Caos, en Sicile. Après le refus d’un pilote américain de transporter par avion les cendres de Rome à Palerme, c’est finalement enfermées dans une caisse en bois et en train qu’elles arrivent en Sicile. Mais là, le cortège funèbre est bloqué par l’archevêque qui lui refuse cet honneur parce qu’incinéré.
Andrea Camilleri a alors l’idée de placer les cendres dans un cercueil qui parviendra tant bien que mal à Caos. Les cendres seront conservées au Musée d’Agrigente jusqu’en 1962, date à laquelle sera installé une sculpture faite pour l’occasion et dans laquelle seront versées les cendres de Luigi Pirandello.
Pour en savoir plus :
Wikipedia notamment pour la liste des ses très nombreuses oeuvres :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Luigi_Pirandello
Article « le spectacle de la vie dans le théâtre de Pirandello »
https://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1973_num_1_2_3230
Andrea Camilleri raconte le périple des cendres de Luigi Pirandello
https://labibliothequeitalienne.com/2017/11/23/le-periple-des-cendres-de-pirandello/
Kaos, contes siciliens – Le monde diplomatique
https://www.monde-diplomatique.fr/1985/01/RAMONET/38351